Les Glups étaient des gens comme tout le monde. Ils appartenaient à la classe des ZAnimés du continent qui pensent, payent des impôts, votent, contrairement à la populace des SOUZAnimés (SZA) au cerveau réduit et aux muscles bien développés, affectés aux basses besognes.
Lutti et Mona Glups vivaient ensemble depuis dix ans, au soixantième étage d'une somptueuse tour orientable en plastalumin, matériau révolutionnaire du siècle à la fois solide et léger, transparent et opaque, à volonté. Leur appartement vaste et aéré par l'air suave de la Compagnie Airzen était meublé dernier cri, en meubles également, en plastalumin transparent et auto-nettoyant, très pratique pour le rangement. Des sélecteurs d'ambiance agissaient sur la lumière du lieu qui passait par toutes les nuances de l'arc en ciel suivant l'humeur de ses occupants. Ainsi, quand Mona était mélancolique, ce qui lui arrivait rarement, car elle n'en avait pas le temps, la lueur de la pièce devenait mauve, mais quand Lutti plaisantait, à son habitude, des lueurs oranges y dansaient, ou bien lorsqu'il était saisi par des désirs amoureux, une lumière rougeâtre envahissait la chambre nuptiale. Quand ils étaient absents, et que seuls, les deux SZA de service s'affairaient au rangement et à la propreté de l'appartement, la lumière était simplement incolore.
Lutti et Mona, comme tous les ZAnimés occupaient de hautes fonctions sociales. En l'occurrence, ils travaillaient au ministère de l'Intérieur où Lutti était conseiller particulier et Mona, chef de cabinet. Ils se complétaient parfaitement dans leur vie privée, comme dans leur fonction au ministère et formaient un couple redoutable qui faisait trembler les subordonnés du service, sous-chefs ZAnimés ou sous-clônes de basses tâches.
Lutti, pour sa part, était né dans une éprouvette selon une technique de pointe, dans une medicreativebox, d'un spermatozoïde d'étudiant énarque et d'un ovule d'étudiante H.E.C., tous deux sélectionnés, qui, grâce à cette prestation rémunérée, avaient pu terminer leurs études sans difficulté. Ses acquéreurs, parents légaux, étaient de riches négociants retirés des affaires.
Mona était d'origine plus modeste: ses deux acquéreurs étaient respectivement un chef d'entreprise et une directrice d'agence de voyage, et elle avait été conçue dans un laboratoire ordinaire. Par bonheur pour elle, la prestataire d'ovules possédait une intelligence très supérieure à la moyenne, et la transmission s'était faite dans ses propres gènes. Quand au donneur de sperme, il était d'un tempérament plutôt non-conformiste, mais il avait été choisi pour sa santé et son physique parfaits. Le couple qui l'avait acquise, d'honorables commerçants, en étaient très fier et l'avait choyée et aidée à se propulser jusqu'à la situation qu'elle occupait actuellement. Chanceuse, habile et compétente, son plan de carrière comportait une prochaine étape: abandonner le fonctionnariat pour devenir secrétaire d'état, et, ultérieurement, ministre.
Il y avait donc, pour ce couple, peu de temps et de place pour l'éducation d'un enfant. Aussi avaient-ils décidé de surseoir à l'acquisition d'un bambin. En vertu des textes en vigueur, ils étaient tenu d'en avoir un, au minimum, mais ils disposaient environ encore d'un délai de cinq ans. Un jour, pourtant, la fibre maternelle de Mona s'éveilla, sans qu'elle sache pourquoi. Ce n'était pas une envie d'origine utérine, puisque, comme tous les ZAnimés, elle était stérilisée. Non, c'était un désir cérébral intense. Et cependant, elle possédait tout ce qu'elle souhaitait, un travail passionnant, un mari et des amis charmants, une vie plus qu'aisée. Et cependant, en voyant un jour le bébé que sa sœur venait juste d'acquérir, elle était devenue mélancolique et avait éprouvé comme un manque. C'était une sorte de désir avide qui s'implantait dans sa tête pendant ses moments de loisir, puis, sournoisement, dans son bureau et jusque dans ses séances de travail avec le ministre. Bientôt la lumière de l'appartement demeura mauve, à peine zébrés d'éclairs rouges ou jaunes, déclenchés par l'humeur de Lutti, aussitôt anéantis par une tristesse violacée.
- Qu'as-tu donc, ma Douce, finit par lui demander Lutti? Aurais-tu quelque ennui de service que tu n'as pas voulu me confier? Ai-je mal agi avec toi?
- Lutti, j'ai bien réfléchi, répondit Mona, directement, car elle ne s'embarrassait jamais de préambule, oui, j'ai longuement réfléchi ces temps derniers, et bien que nous ayons décidé d'attendre encore pour l'achat d'un bébé, je souhaiterais en avancer la date d'acquisition.
- Ce n'est donc que cela, dit Lutti, soulagé? Je craignais que tu sois malade ou que tu t'ennuies en ma présence, ajouta-t-il d'un ton affectueux.
- Voyons! Comment peux-tu croire cela, répondit Mona en lui entourant le cou de son bras. Alors, serais-tu d'accord, ajouta-t-elle d'une voix charmeuse?
- A vrai dire, je n'y songeais pas, mais si tu y tiens, c'est oui, naturellement.
En réalité, il en était ravi car il ne voyait pas d'un très bon œil les idées ambitieuses de sa femme qui risquaient de l'écarter de lui.
Mona s'endormit, ce soir là, le cœur léger, remettant au jour suivant les modalités de la mise en route du projet. Le lendemain matin, après le petit déjeuner, juste avant de partir au ministère, elle demanda à Lutti.
- Et pour notre projet, mon cœur, veux-tu t'en occuper avec moi ou me laisses-tu carte blanche?
Elle fut bien aise de l'entendre répondre.
- Fais à ton idée, ma Douce, ce sera bien fait. Et j'aurai en outre le plaisir de la découverte.
Mona était une femme d'action. Elle se rendit au ministère, y accomplit sa tâche quotidienne avec brio, comme d'habitude, et obtint sans difficulté du Ministre de s'absenter pendant trois jours. Elle rentra chez elle, ce jour-là, exceptionnellement à 16 heures, but un rafraîchissement vitaminé et s'installa devant l'écran du super computer, cadeau de Lutti pour son dernier anniversaire. Au signal vocal convenu, l'écran s'alluma et lui adressa un salut synthétique et amical:
- Bonjour, chère Mona, c'est un véritable plaisir de communiquer avec vous.
Puis il s'enquit courtoisement de ses souhaits:
- Que puis-je faire pour vous, Très Chère?
Mona ne perdit pas de temps en amabilités avec ce perroquet de métal et demanda abruptement:
- Établir communication avec Megastore "La maison du bébé".
Mona savait pertinemment qu'il s'agissait du meilleur magasin où se fournissait l'élite de la ville.
- Quelques instants de patience, Très Chère, nous appelons le Megastore "La maison du bébé", collationna la machine parlante, qu'elle appelait "Goufy", détendez-vous en écoutant un peu de musique.
Après quelques mesures de l'ouverture de Tannehauser, Goufy annonça triomphalement "vos désirs vont être réalisés, Très Chère, vous avez sur les ondes Ralph Gall, responsable de "La maison du bébé". Bonne communication."
Sur l'écran apparut aussitôt un avenant personnage aux cheveux bruns bouclés et aux yeux de velours, à la bouche souriante sous une fine moustache. Il était vêtu d'une combinaison assez moulante d'un blanc satiné étincelant, avec une fermeture éclair brillante, sur le côté. Autour de lui, flottaient mollement des images de nursery idéale, avec des bébés de rêve.
Le charmant directeur découvrit de belles dents bien rangés et articula d'une voix suave.
- Ici Gall, je suis à votre disposition. Que désirez-vous, Chère Madame Glupps?
- Bonjour, Monsieur Gall, je souhaite acquérir un bébé dans les meilleurs délais. Naturellement, il me faut votre meilleur produit.
- Mais certainement, Chère Madame. Nos bébés possèdent tous des qualités exceptionnelles et ils sont garantis trois ans. Je vous propose donc de répondre au questionnaire qui va apparaître sur votre écran, afin que nous puissions sélectionner sur notre catalogue quelques exemplaires susceptibles de vous convenir. Je vous laisse donc répondre, tranquillement et je serais de nouveau à vous dès que vous aurez terminé. A très bientôt.
L'écran assisté du haut-parleur la bombardèrent alors de questions sur sa propre origine et celle de son mari, sur leur vie commune, leurs aspirations, leur perception de l'enfant idéal. Cela dura bien vingt minutes qui parurent fort longues. Enfin l'écran afficha le mot "Fin" en gracieuses arabesques et la voix synthétique annonça:
- Notre questionnaire est terminé: nous allons être en mesure de vous donner une photo du bébé idéal.
Sur ce, Goufy émit un Cling! retentissant et l'image de Monsieur Gall apparut à nouveau sur l'écran.
- Quelques instants de patience, Chère Madame, l'image de votre petit chérubin va bientôt apparaître. Compte tenu de notre dernier arrivage, je pense qu'il nous sera possible de vous livrer dès demain. Dans le cas contraire, il faudra passer commande et cela vous prendra neuf mois. Mais, voilà qui est prêt. Je vous laisse regarder tout à votre aise.
L'image de Monsieur Gall fit alors place à une envolée de bébés joufflus, tandis qu'une musique, semblable à un doux babil envahit l'espace. A nouveau la voix synthétique, feutrée, annonça
- Chère Mona Glupps, voici le portrait de ce petit être qui sera bientôt le vôtre.
Les chérubins disparurent et Mona put alors admirer sur l'écran un adorable bambin tout potelé avec de fins cheveux sombres, semblables à ceux de Lutti et de grands yeux bleu-vert comme ses propres yeux. Tandis que Mona l'observait attentivement, Monsieur Gall apparut dans un coin de l'écran, tout souriant.
- Alors, qu'en pensez-vous? Connaissez-vous un enfant aussi adorable?
Mona dut convenir que l'enfant était superbe. Monsieur Gall annonça alors, triomphant:
- J'ai le grand plaisir de vous annoncer qu'un tel enfant est disponible sous le numéro AZQ 3.11269. Il vous est donc possible de passer le voir demain. Et s'il vous satisfait, vous pourrez l'emporter avec vous.
- Mais, s'affola Mona, rien n'est encore prêt à la maison, je n'ai pas eu le temps de préparer sa chambre.
- Ne vous inquiétez pas pour cela, Chère Madame, dans ce cas, je peux vous envoyer une équipe de décorateurs, dès demain avec le mobilier que vous aurez choisi et l'enfant pourra vous être livré dès après-demain. Nous vous attendons donc à la première heure. A demain. Ce fut un plaisir de discuter avec vous.
Perplexe, Mona donna l'ordre à Goufy de couper la communication, ce qu'il fit, en lui souhaitant un bonsoir nostalgique, après un court laïus pour exprimer le plaisir qu'il avait eu à obéir à ses ordres et celui qu'il aurait à répondre à ses futures demandes.
Puis elle attendit avec impatience le retour de Lutti. Celui-ci arriva avec un léger retard, du à une affaire compliquée qui l'avait retenu au ministère. Ils prirent leur repas composé et vitaminé au distributeur-robot de la cuisine et s'installèrent confortablement dans les fauteuils du salon pour parler.
- Lutti, entama Mona, sans préambule, j'ai pris contact avec la maison du bébé qui a élaboré le portrait-robot de notre futur enfant. Il se trouve qu'ils le possèdent en magasin. De ce fait, nous pourrions être livrés dès après-demain. Il faudrait pour cela que nous nous rendions ensemble, demain à neuf heures, au Megastore afin de l'examiner, de voir s'il nous convient et de retenir, si c'est le cas, les meubles et l'équipe de décoration.
Lutti émit un sifflement plein d'admiration:
- Je reconnais-là ton sens de l'efficacité, ma chère épouse. Mais n'est-ce pas un peu tôt? Sommes-nous suffisamment préparés à l'accueil de cet enfant?
Lutti vit alors dans les yeux de Mona une petite lueur qu'il connaissait bien et qui lui fit comprendre qu'il était inutile d'insister.
"D'accord ma Douce, conclut-il. J'annulerai mon premier rendez-vous et nous irons voir cet enfant demain matin."
* * *
Mona eut du mal à dormir, cette nuit-là. Les pensées les plus hétéroclites lui traversaient la tête, depuis la couleur des meubles de la chambre du bébé jusqu'au profil supposé de celui-ci et son évolution dans le temps. Car Mona ne doutait pas que son futur enfant fut un jour chef d'état.
Il faisait jour quand le robot distributeur de boissons vitaminées les réveilla Lutti et elle. Ils s'habillèrent avec élégance appelèrent un hélico-taxi qui arriva sans tarder sur le toit de leur tour et les déposa dix minutes plus tard sur celui du Megastore. Un ascenseur les amena à une vitesse vertigineuse au "magasin du bébé".
Ralph Gall, vêtu de sa combinaison immaculée, les accueillit avec un sourire charmeur. Il leur offrit une tasse de café d'Outre Atlantique, boisson très en vogue, et leur proposa de les conduire auprès du bébé AZQ 3.11269. Le cœur battant, Lutti et Mona le suivirent en se tenant par la main. Sillonnant de luxueuses allées, ils passèrent devant un nombre impressionnant de vitrines où s'ébattaient de jeunes enfants comme des poissons dans un aquarium numéroté. Il y en avait une variété assez extraordinaire avec toutes les nuances de couleur de cheveux, d' yeux et de peau. Le magasin des bébés ne volait pas sa réputation! Enfin, il s'arrêtèrent devant la vitrine de l'enfant qui devait devenir le leur. A l'appel discret de Gall, une charmante nurse blonde, au sourire figé au beau fixe, apparut et sortit le petit AZQ 3.11269 de son berceau. Celui-ci était âgé de deux mois. Mona le prit dans ses bras l'examina des pieds à la tête et le trouva adorable, en tout point semblable au portrait qui était apparu sur l'écran de Goufy. Puis elle le confia à Lutti et se mit à regarder autour d'elle avec curiosité. C'est alors que l'événement se produisit.
Dans la vitrine d'en face, se tenait un enfant de dix mois, environ, debout sur ses petites jambes, les mains appuyées sur la vitre. Il regardait intensément Mona avec des yeux noirs, étincelants. Son petit corps nu avait des proportions parfaites et son visage grave, auréolé de boucles blondes évoquait les angelots de musées. Sa bouche soigneusement dessinée et son menton déjà ferme, annonçaient un être de volonté. Mona lut son matricule avec étonnement: AZ 3.14116, puis, avec une promptitude qui l'étonna elle-même, elle dit à Ralph Gall.
- Montrez-moi cet enfant.
- Pardon, répliqua-t-il étonné?
Tandis que Lutti la regardait d'un air interrogatif.
- Montrez-moi cet enfant, s'il vous plaît.
Devant sa détermination le directeur fit signe à la nurse de sortir le petit AZ 3.14116 de son aquarium. Celle-ci le mit dans les bras de Mona. A son contact, elle se mit alors à vibrer intensément. L'enfant la regardait droit dans les yeux d'un regard superbe puis il articula doucement, gravement:
- Ma-ma-ma.
Alors, Mona , oublia la femme de réflexion qu'elle était et dit d'une voix péremptoire:
- C'est cet enfant que je veux.
Ralph Gall qui la regarda d'un air ébahi, puis tout en tournant alternativement les yeux de Lutti à elle-même, il s'écria:
Mais Chère Madame, vous n'y pensez pas. Nous avons testé votre demande et cet enfant ne correspond pas aux résultats du test. Je ne veux pas courir le risque de vous voir le ramener. Au demeurant, je me permets de vous signaler qu'il n'a pu être vendu, jusque-là, alors que nous avons exactement le produit qu'il vous faut.
Pourquoi personne n'a acquis cet enfant, à ce jour, il est pourtant superbe?
Il est issu d'une donatrice de haute lignée. Mais à cause d'une erreur de manipulation découverte par la suite, il s'avère que le géniteur, sélectionné pour sa grande beauté, possède des tendances nettement non-conformistes.
- Il en était de même pour mon père, rétorqua Mona, non sans une certaine arrogance, et voyez ce que je suis devenue!
Lutti essaya toutefois de la raisonner. Rien n'y fit. Commercialement, Ralph Gall, vaincu, arbora son plus beau sourire et conclut: Remarquez, vous faites une bonne affaire puisque le AZ 3.14116 est soldé à 20%.
Et, c'est, ainsi que vous l'avez remarqué, un très bel article.
Ils retournèrent à son bureau refusèrent un deuxième café et parlèrent des conditions de vente et d'installation.
Mona marchanda, pour la forme, obtint une remise totale de 25%, puis, Lutti et elle signèrent le bon de commande. Nouvelle surprise, lorsque Mona annonça:
- Préparez l'enfant, nous l'emportons avec nous.
- Mais ma Douce, tu n'es vraiment pas raisonnable, rien n'est prêt, à la maison, protesta Lutti.
- Demain sa chambre sera prête. Quant à ce soir, il dormira sur le canapé du salon. Cher Monsieur Gall, veuillez prévoir tout ce qui m'est nécessaire pour cette période transitoire et rajoutez-en le montant sur la facture.
Et les Glups rentrèrent chez eux, Lutti portant un grand sac et Mona tenant dans ses bras le petit AZ 3.14116, avec précaution, comme s'il s'agissait d'un objet infiniment précieux. Ils installèrent l'enfant sur la canapé, au milieu de coussins fleuris, après un copieux biberon de "babylife", le nec plus ultra des nourritures pour bébés, et il s'endormit confiant après avoir octroyé Lutti et Mona d'un charmant sourire qui révéla une délicieuse fossette sur la joue droite.
Mona et Lutti l'admirèrent longtemps, émerveillés par cette petite vie toute neuve, puis ils se retirèrent dans leur chambre pour discuter. Il s'agissait en effet de régler désormais leur propre mode de vie en tenant compte des besoins de l'enfant: son éducation, sa garde, sa nourriture, ce qu'ils firent très vite et très facilement, car ils possédaient tous deux un sens de l'organisation très poussé, entretenu par leur fonction au ministère. Ils mirent à contribution Goufy qui se révéla à la hauteur de la tâche qu'on lui demandait. Mais là où ils calèrent, ce fut pour donner un nom à l'enfant. Un nom c'est important! Il ne s'agissait pas d'en retenir un à la va-vite, mais, d'un autre côté, ils ne pouvaient continuer à appeler leur chérubin AZ 3.14116. D'autre part ils devaient faire à l'administration concernée les déclarations d'usage. Ils avaient tous deux leur opinion sur la question, mais malheureusement, des opinions divergentes. Lutti penchait pour des noms courants, à la mode: Tangan, Myrio, et pourquoi pas son propre nom, Lutti?
"Lutti junior, voilà qui serait bien!"
Mais Mona n'était pas d'accord: pour cette enfant exceptionnel, elle désirait un nom hors du commun. Après deux bonnes heures de discussion, la fatigue aidant, et sur l'insistance de Mona, ils tombèrent d'accord pour lui attribuer un prénom à l'ancienne et AZ 3.14116 devint définitivement Achim.
* * *
Grâce au sens pratique de ses parents et à leurs moyens financiers, grâce à sa propre constitution physique prédéterminée certaine, et malgré le caractère aléatoire de la transmission de la structure physique, côté paternel, Achim grandit harmonieusement. Il n'existait pas, dans l'entourage pourtant vaste des Glups, d'enfant aussi beau, physiquement, aussi intelligent et charmant. Ses parents étaient véritablement comblés. Certes, il lui arrivait parfois de prendre des positions diamétralement opposées à celles en usage dans le monde des ZAnimés, que Mona et Lutti en ressentaient quelque inquiétude. Mais il mettait tant de séduction dans ses arguments que son attitude était mise sur le compte d'une imagination fertile dont Mona, elle-même n'était pas exempte.
Rien de grave, en somme, puisque Achim se révélait être, un des meilleurs élèves du cours privé "Génies d'avenir" où ses parents l'avaient inscrit. Intuitif, imaginatif, très en avance dans ses études, il paraissait en outre doué d'une pré science des événements, des êtres et des choses et il étonnait ses maîtres, ses parents et ses amis par la pertinence de sa vision du monde.
Autre trait plus préoccupant, Achim, devenu adolescent, tombait parfois dans une étrange rêverie qui le coupait du monde et personne n'avait jamais pu savoir quel était l'objet d'une aussi profonde réflexion, car, à ce sujet, il ne se confiait jamais à quiconque, même pas à Mona, malgré son affectueuse pression.
A quinze ans, il avait réussi brillamment un concours d'entrée dans la Haute école de Sciences Politiques de l'état. Influencé par le milieu dans lequel vivaient ses parents, il éprouvait, pour la politique, une véritable passion et il avait, malgré son jeune âge, dévoré l'énorme documentation qui remplissait le ventre de Goufy qu'il avait presque entièrement annexé. Il se passionnait également pour la philosophie de son époque et dissertait volontiers dans le cercle des amis de ses parents, pour la plus grande joie de ces derniers.
Cette année-là, alors que les vacances scolaires venaient tout juste de commencer, Mona entreprit de faire le grand nettoyage de la maison avec l'aide de Janus et des SZA. Dans la onzième pièce de l'appartement, celle qui servait, pour ainsi dire de débarras, là où l'on déposait les objets devenus inutiles, dans de vastes placards, Janus tomba en arrêt devant un vieux coffre de cuir rouge usé, tout en haut d'une étagère. Intrigué, il demanda à Mona:
- Mère, qu'est ce que cette étrange boîte? Il me semble avoir vu un tel objet dans mon logiciel d'histoire ancienne.
- Il s'agit en effet d'un coffre très ancien qui m'a été transmis par mon père légal qui le détenait lui-même de son propre père légal qui en avait hérité de son propre géniteur, puisqu'en ces temps archaïques, les enfants naissaient directement de deux parents.
- Oui, je sais répondit Janus, j'ai vu cela dans l'histoire de la biologie.
Après avoir donné l'ordre au SZA le plus proche de descendre le coffre de l'étagère, elle ajouta:
- Ouvre-le!
Janus ne se fit pas prier et fit jouer la vieille serrure, sur le champ. L'intérieur du coffre, tapissé de velours rouge, contenait une demi-douzaine de livres en bon état, bien que très anciens, manifestement feuilletés maintes fois, ainsi qu'un vieux grimoire dont les pages avaient été écrites à la main par l'aïeul disparu.
- Oh! des livres! s'exclama Janus ravi. C'est la première fois que j'en vois! Moi qui désirais tant en posséder! Puis-je les consulter?
- Bien sûr, prends-les si cela t'intéresse. Je te donne le coffre et son contenu. Pour ma part je n'en ferais pas grand chose. Et maintenant à l'œuvre! il nous faut terminer avant la fin de l'après-midi.
Jamais ces travaux de rangement qui ne l'avaient jamais amusé mais qu'il accomplissait pour faire plaisir à Mona, ne lui avaient paru aussi fastidieux! En fait, il brûlait d'envie de prendre possession de son nouveau trésor. Quand tout fut terminé, refusant le goûter que lui proposait Mona, Il courut dans sa chambre et commença à faire l'inventaire du coffre. Sous la pile de livres, il découvrit un étrange pendentif représentant un aigle bicéphale en or et en argent. Perplexe, il le tourna et le retourna dans ses mains fines et nerveuses et finit par le déposer sur la table de plastalumin transparent.
Son intérêt se porta alors sur les livres. Il découvrit ainsi "la République" de Platon, L'Ancien et le Nouveau Testament, dont il avait connu l'existence au travers de ses recherches sur l'histoire ancienne, deux ouvrages de René Guénon, dont il n'avait jamais entendu parler. Quant au grimoire, il ne put le déchiffrer car l'écriture manuelle lui était inconnue. Brûlant de curiosité, il manipula Goufy jusqu'à ce qu'il soit à même de déchiffrer le texte. Il allait commencer à le faire quand Mona l'appela pour dîner. Il rejoignit donc le salon pour recevoir sa dose de nourriture vespérale et prétextant une tâche urgente, il regagna sa chambre avec son bol dont il dégusta le contenu tout en commençant sa lecture. Très vite il posa le récipient sur sa table de travail, et se consacra entièrement à sa lecture, s'interrompant parfois à l'occasion d'un passage ou d'un mot incompréhensible. A quatre heure du matin il s'endormit épuisé et rêva étrangement.
A dix heures du matin, il se réveilla, affamé, inquiet et courut se faire servir par le robot distributeur. Il se sentit apaisé. Ses parents étaient partis au ministère et il se trouvait donc seul à l'exception des SZA qui vaquaient silencieusement à leurs tâches domestiques. Il put alors se remettre à ses lectures avec passion.
Quand Mona et Lutti rentrèrent, le soir, Janus leur fit part de ses découvertes et les bombarda littéralement de questions sur le sens de la vie, sur le monde supra-sensible, le devenir de l'être, après la mort, questions auxquelles ils répondirent avec la logique toute matérialiste des ZAnimés en tout point semblable à celle des scientifiques et des philosophes-économistes du moment dont Janus connaissait bien les ouvrages. Au bout d'un moment, Lutti, excédé,conclut d'un ton péremptoire:
- Toutes ces idées appartiennent à un temps révolu. Prends-en connaissance à titre de curiosité, mais ne te fourre pas de théories stupides en tête. Le monde où nous vivons est un monde humain, sans cesse amélioré par la découverte de l'intelligence artificielle, et il n'y a pas de place pour quelque prétendue divinité qui construirait le monde à la manière d'un architecte. Après la mort, il n'y a rien, les hommes naissent et se remplacent.
Mona faisant chorus, il ne resta plus à Janus qu'à changer de sujet, ce qu'il fit en soupirant.
* * *
Il restait deux mois de vacances avant l'entrée à la Haute école de Sciences Politiques de l'état où il devait passer cinq ans. Ensuite, il aurait l'âge d'entrer à Genius Administration, l'école qui, outre-Atlantique fabriquait des politiciens de haut vol.
Indifférent à la vie familiale, Janus ne quitta plus ses livres et Goufy qu'il bombarda de questions sur la philosophie et les Traditions anciennes. Mais très vite, Goufy se mit à répondre à presque toutes ses demandes d'une voix synthétique, navrée:
Désolé! Je ne puis répondre à cette question. Veuillez reformuler votre demande ou poser une autre question.
De guerre lasse il ne lui resta plus qu'à se rendre à la grande Banque Centrale d'Informatique, où, par chance, le responsable du service LOGICIELS ANCIENS, Norman Saada, séduit par le prénom du jeune homme, par sa grande beauté et par son air particulièrement ouvert, le prit en sympathie et lui ouvrit chaleureusement les portes de son domaine.
Les anciens computers et leurs vieux logiciels n'eurent bientôt plus de secrets pour lui. Norman, dont la mémoire était prodigieuse, lui prodiguait ses conseils et complétait l'enseignement du jeune homme en répondant à ses demandes et en l'obligeant à aller toujours plus loin dans ses interrogations.
Norman était âgé d'une soixantaine d'année, mais il paraissait étonnamment vieux pour son âge. Grand et mince, à l'aspect sévère, ses cheveux et sa barbe, soyeux, étaient entièrement blancs. Ses oreilles immenses lui donnaient un aspect étrange, mais ses yeux très bleus au regard à la fois très vieux et très neuf, brillaient d'un éclat très attirant.
Ainsi, arriva, très vite, la fin des vacances. Janus, qui avait toujours été ravi lors des rentrées scolaires, s'en désola, cette fois-ci. Mona et Lutti, de leur côté s'en réjouirent, car il voyaient d'un très mauvais œil leur fils chéri "s'abîmer", selon le terme de Lutti, dans les fariboles du passé au lieu de préparer une rentrée brillante dans une haute école bien ancrée, pour des êtres dont les deux pieds étaient reliés à la terre, la meilleure école, à leurs yeux, celle qui traitait de la politique.
Pour avoir particulièrement souffert de l'attitude de ses parents, de ses amis et de ses professeurs, même, Norman, dont la recherche était toute métaphysique avait appris, par nécessité, à allier le rationnel et l'irrationnel. Aussi, la veille même de la rentrée, donna-t-il à Janus ce précieux conseil:
- Mon cher enfant, je vais te raconter une simple histoire, véridique. Ecoute moi bien. Il était une fois un alchimiste, grand initié, qui était coiffeur de son état. Le jour, il coiffait ses clients et époustouflait l'assistance par de prétendues expériences alchimiques, tape-à-l'œil. Cette attitude divertissait la galerie, soit qu'on le tînt pour un plaisantin soit qu'ont le regardât comme un faux mage arriviste. Or, masqué par cette façade clinquante, tout rideau baissé, opérait le grand alchimiste, dans le secret de son laboratoire, seul ou assisté de ses vrais amis, alchimistes, comme lui. Ainsi put-il œuvrer comme il l'entendait sans être inquiété, sa vie durant.
Nous vivons dans un monde de rationalité où le fait de s'interroger sur l'origine et le devenir de l'homme, sur le sacré et le divin, rend un individu suspect, voire dangereux, aux yeux d'autrui. Mets en avant une parfaite image d'élève-politicien brillant, promu a un grand avenir, mais poursuit tes recherches dans l'ombre, afin de ne pas déchaîner de forces négatives qui seraient autant d'obstacles à ta recherche.
Malgré son extrême jeunesse, Janus comprit aussitôt le bien-fondé de ce conseil, d'autant plus qu'il s'était trouvé en bute aux reproches affectueux, mais sévères de Mona et de Lutti, ces temps derniers. Il promit à Norman, de suivre son conseil sans tarder et de le retrouver, désormais, dans le plus grand secret.
En arrivant chez lui, il participa gaiement à la soirée familiale et décréta d'un air faussement joyeux, qui parvint à donner le change:
- Finies les vacances! Je vais enfin pouvoir me mettre au travail!
Mona et Lutti se regardèrent avec le sentiment commun d'avoir retrouvé leur enfant, Ils se jetèrent sur lui et l'embrassèrent vigoureusement. Janus, se prêtant au jeu, il s'ensuivit une joyeuse bagarre familiale, dans une lumière d'ambiance rouge-orangée. Mais lorsqu'au moment de se coucher, Janus se retrouva seul dans sa chambre, il pensa avec tristesse qu'il venait de s'éloigner de ses parents et il se rendit compte combien il lui était difficile de ne pas pouvoir être authentique, en leur présence. Il se promit de ne négliger aucune occasion de les convaincre, en douceur. Mais serait-ce possible? Il retrouva un peu de quiétude en songeant à Norman, à sa sagesse, à sa connaissance et à la sollicitude qu'il lui témoignait.
Les années qui suivirent furent particulièrement riches d'enseignement "officiel" et occulte. Sa prodigieuse capacité de travail, étonnante, pour un garçon aussi jeune, lui permirent d'être toujours à la tête de sa promotion et de sortir major, à l'issue de la dernière année. Il n'en continuait pas moins à consulter les ouvrages anciens que Norman mettait à sa portée et à discuter longuement avec le vieux sage, dans la petite salle secrète de la bibliothèque, domaine du vieil homme. Bientôt, l'élève dépassa le maître.
Il fut alors temps, pour Janus, de poursuivre ses études Outre Atlantique, selon le désir de Mona et de Lutti. Janus en était à la fois heureux et inquiet. S'il envisageait avec joie de découvrir un nouveau monde et une civilisation prospère, il avait du mal à se séparer de ses parents, de son cher Norman et de ses livres. Toutefois, son vieil ami l'avait recommandé à l'un de ses compagnons de recherche et Janus se sentait donc rassuré. Il pourrait ainsi continuer à progresser dans le domaine secret et accomplir de brillantes études qui le propulseraient au zénith de la société de son pays, pour la plus grande joie des ses parents, tout en faisant écran à ses chères études secrètes.
C'est à cela qu'il pensait à l'aéroport, quand il embarqua, après s'être arraché des bras maternels de Mona, en larmes.
Son voyage dura deux petites heures qui lui parurent très longues, car il brûlait d'impatience de retrouver cet univers moderne que Mona et Lutti lui avaient fait visiter à trois reprises, quelques années auparavant. Il n'eut pas de mal à reconnaître le paysage de l'aéroport et de ses environs auquel il fut très vite arraché par une navette ultra rapide. La masse énorme des constructions lui parut encore avoir augmenté et dans le centre de la ville, de nouveaux bâtiments, faisant place aux buildings jadis très élevés, avaient encore gagné sur le ciel, devenu invisible. Une lumière artificielle permanente inondait les êtres et les choses de manière quasi insupportable pour des yeux neufs. Aussi s'engouffra-t-il prestement au numéro 8 de la 18 ème avenue où il devait être hébergé par d'anciens collègues de ministère de ses parents venus s'installer depuis dix ans dans la mégapole.
Un ascenseur fusée le monta en un éclair au 199 ème et avant dernier étage de la tour étincelante et s'arrêta dans l'appartement 1999 où Ram et Nussy, le couple sans enfants, amis de ses parents le reçurent avec joie. Ils l'installèrent dans son nouveau domaine, un petit appartement indépendant de 150 mètres carrés équipé de manière très moderne d'un mobilier auto-nettoyant où le service était assuré par un robot de formes androgynes et de proportions agréables qui lui souhaita la bienvenue d'une voix suave et lui déclara qu'il serait disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et prêt à exécuter ses ordres après quelques essais destinés à le familiariser avec sa voix, ce qui prit, tout au plus, cinq minutes.
Ram et Nussy ne lui laissèrent pas le temps de faire une pause, mais l'entraînèrent dans leur propre appartement, communiquant avec celui de Janus.
* * *
L'appartement de Ram et de Nussy était meublé selon les règles d'un art dernier cri. Alors que Mona et Lutti avaient adopté une décoration sobre, aux formes géométriques agrémentée çà et là, avec élégance, de bibelots, de peintures, de sculptures "anciennes" (Mona affectionnait tout particulièrement celles de Bottero), leurs amis en revanche, prisaient, apparemment les ornementations si biscornues que Janus chercha, machinalement à découvrir un angle, dans tout le salon, sans parvenir à en trouver un. De surcroît, les meubles croulaient sous un amas incroyable d'objets inutiles, animés ou inanimés, les plus extraordinaires, dont le but semblait être de rendre perplexe le visiteur.
Tout en bavardant à bâton rompu, Ram et Nussy l'installèrent sur un canapé-sofa, très confortable, dont les formes rappelaient celles d'un chat et s'étendirent eux mêmes à côté de lui sur des sièges-faunes tout aussi surprenants. Comme c'était l'heure du repas, ils appelèrent un clone à l'allure étrange qui avec un gracieux sourire leur servit toutes sortes de gelées aux teintes pastels, plus ou moins denses, aux parfums étonnants dont certains le ravirent et d'autres l'écœurèrent. On les dégustait, en les aspirant à l'aide de gros chalumeaux légers et transparents. Devant ses mines changeantes, Nussy jugea bon de lui apporter des précisions culinaires.
- Je vois que tu t'étonnes de nos mœurs alimentaires, mon cher enfant. Depuis quelques années, nous avons en effet adopté le régime High-Longevity du professeur Holock et nous nous en portons très bien. Quel âge nous donnes-tu?
Par référence à l'âge de ses propres parents, Janus avança prudemment:
- Quarante ans?
Nussy triompha:
- Là, je te l'avais bien dit, ce régime est remarquable! Saches que Ram et moi avons tous deux soixante ans passés et que nous nous portons à merveille. Dès que tu t'y seras habitué, tu ne pourras plus t'en passer.
Janus retint sur sa langue le "j'en doute" désolé qui lui venait à l'esprit et sourit d'un air charmeur à la maîtresse du lieu.
Dès que le repas fut terminé, Ram qui n'avait pas dit grand chose, jusqu'à présent, entra abruptement dans le vif du sujet: la raison de la présence de Janus, auprès d'eux et le programme d'action afin que cette future élite devienne une des gloires internationales de la politique.
Précis, efficace, il entreprit de donner à son protégé les clés qui lui permettraient de capter, sans perdre de temps, le meilleur de cette vie studieuse qu'il allait devoir mener, dans les deux ans à venir, et dans un pays très en avance sur le plan social et technique à celui où Janus avait grandi et accompli ses études.
Les deux années s'écoulèrent très rapidement.Elève surdoué, Janus n'eut aucun mal à briller au palmarès des étudiants.
Grâce aux contacts de Norman, il prenait patience et se livrait à ses études comme à un jeu, tandis que parallèlement il continuait avec passion l'étude des "fausses sciences", ces différentes branches traditionnelles des anciens continents que se transmettaient oralement, en secret, quelques initiés. Celles-ci le menait à une ouverture d'esprit et à une sérénité qui étonnait professeurs et élèves. S'il n'avait pas été aussi brillant et aussi chaleureux et altruiste, sans nul doute il aurait été pris pour un fou ou pour un illuminé et rejeté par la communauté où il vivait. Servi par un physique superbe et doté d'un magnétisme irrésistible, il aurait pu devenir une sorte de gourou, parmi le cercle ses admirateurs. Mais il prenait grand soin de ne pas se laisser hisser sur un piédestal; il se faisait le chantre de la liberté de penser et s'exerçait autant qu'il le pouvait à convaincre ses amis de la nécessité d'une recherche intérieure, spirituelle, afin d'éviter de s'enfoncer et de se perdre en esprit, dans une construction dont les plans étaient tracés par par de faux architectes qui voulaient conserver le pouvoir à la tête des nations.
Cet état de fait n'alla pas sans créer quelques animosités parmi les envieux assoiffés de pouvoir temporel qui jalousaient le pouvoir naturel qu'il exerçait autour de lui. On alla jusqu'à le dire subversif. Mais les attaques qu'il essuya semblaient se retourner contre ses adversaires. Lorsqu'il dut rentrer chez lui, bardé de diplômes, il laissait derrière lui un petit groupe solide de chercheurs de l'ombre, prêts à perpétuer la Tradition.
Ils retrouva ses parents à la fois avec plaisir et inquiétude. Ceux-ci nageaient littéralement dans le bonheur grâce au succès de leur fils. Mais la part de lui-même qu'il devait garder secrète creusait chaque jour un peu plus le fossé qui avait commencé à les séparer.
De ses études traditionnelles et de ses longues méditations, il avait peu à peu remis en cause la société du moment et notamment, la sélection des élites, les ZAnimés et la production de SZA décérébrés. Il voyait dans cette sélection artificielle et arbitraire une régression de l'humanité.
Il se trouvait ainsi en une communion d'idée avec Norman qu'il avait eu la joie de retrouver. Ce bonheur fut de courte durée car Norman arrivait à la fin de sa vie. En lui rendant visite un matin, il le trouva mort, assis dans son lit, un crayon à la main, un feuillet posé sur ses genoux. Janus le prit et le lut. Il s'agissait du testament philosophique que son vieil ami avait rédigé à son intention.
"Cher Janus,
Me voici prêt à quitter ce corps devenu trop lourd à porter: n'aie aucune peine, il était devenu comme un vieux vêtements dont il faut se séparer. Ma profonde affection me dicte ces quelques lignes.
L'homme épris de perfection et mu par une volonté de progrès, a totalement perverti la noblesse de sa démarche. Au lieu d'avancer droit vers un idéal au service de l'humanité tout entière, il a emprunté une voie périlleuse, oubliant que l'homme n'est pas une machine pas plus qu'un Dieu et maître absolu de cette planète.
Quelques uns d'entre eux ont pris le pouvoir et, au nom d'une idéologie perverse, ils se sont attachés à asservir les autres afin de mieux les dominer. Ces derniers, ont fait acte d'allégeance, soit par inconscience, soit parce qu'ils espèrent en tirer eux mêmes profit. Un quadrillage hautement stratégique et le viol spirituel de la population en a fait cet ersatz d'humanité prêt à tout pour réaliser un rêve de grandeur illusoire avec les ZAnimés dociles et les SZA victimes d'un véritable crime, puisque des robots auraient très bien pu accomplir leur tâche.
Tandis que le SZA usent leur corps en quelques années pour effectuer les bas et difficiles travaux nécessaires à une économie florissante, et permettre aux ZAnimés à la conscience éteinte, de mener une vie de luxe et de bénéficier de voyages interplanétaires avec séjour sur Mars pour les plus efficacement serviles.
Ce triste constat, cher Janus ne doit pas te rendre désespéré. Sur toute la planète demeurent ça et là des foyers à l'écart des puissants de ce monde. Ils abritent des êtres dont la conscience demeure vive en ce qui concerne la véritable nature de l'homme et un devenir élevé possible. Ils savent que l'on ne se coupe pas impunément de ses racines. Initiés à d'anciennes traditions millénaires qu'ils se transmettent oralement (prudence oblige), épris de justice et de liberté, ils entretiennent la flamme de l' Esprit. Je sais que tu veux être de ceux-là.
Mon ami Hermès, que j'ai eu l'occasion de te présenter et qui demeure à l'étage au-dessus, te donneras les clés nécessaires pour accéder à ce monde souterrain qui veille et qui prépare en secret la régénération d'une société où pourront s'épanouir les valeurs humaines oubliées nécessaires à la vie d'un monde où les hommes sont libres et fraternels.
Ne rejette pas Mona et Lutti, ils ont été les gardiens d'une état nécessaire à ton développement. Hélas, Lutti aura beaucoup de mal à accepter que son fils a choisi un autre ministère que celui auquel il aspirait pour lui. Mona sera plus compréhensive.
Espère! aie confiance en l'avenir, en une évolution humaine qui s'inscrit dans un dessein qui nous dépasse, celui d'un Grand Architecte invisible, un dessein où l'homme peut se réaliser pleinement dans la foi et l'amour.
Courage, je reste avec toi par l'esprit. à D...."
La main s'était arrêtée là: Norman était à présent - Janus n'en doutait pas - dans un monde radieux. Il ferma les yeux de son vieil ami et déposa un baiser sur son front.