CHANT XII

Vers 97 à 111

GUIDÉS PAR NESSUS, VIRGILE ET DANTE TRAVERSENT LE SEPTIÈME CERCLE, OÙ LES TYRANS BAIGNENT DANS UN LAC DE SANG SOUS LES FLÈCHES DES CENTAURES

Chirón si volse in su la destra poppa,
e disse a Nesso: «Torna, e sì li guida,
e fa cansar s'altra schiera v'intoppa».

Or ci movemmo con la scorta fida
lungo la proda del bollor vermiglio,
dove i bolliti facieno alte strida.

Io vidi gente sotto infino al ciglio;
e 'l gran centauro disse: «E' son tiranni
che dier nel sangue e ne l'aver di piglio.

Quivi si piangon li spietati danni;
quivi è Alessandro, e Dïonisio fero
che fé Cicilia aver dolorosi anni.

E quella fronte c'ha 'l pel così nero,
è Azzolino; e quell' altro ch'è biondo,
è Opizzo da Esti, il qual per vero

fu spento dal figliastro sù nel mondo».
Allor mi volsi al poeta, e quei disse:
«Questi ti sia or primo, e io secondo».

Poco più oltre il centauro s'affisse
sovr' una gente che 'nfino a la gola
parea che di quel bulicame uscisse.

Mostrocci un'ombra da l'un canto sola,
dicendo: «Colui fesse in grembo a Dio
lo cor che 'n su Tamisi ancor si cola».

Poi vidi gente che di fuor del rio
tenean la testa e ancor tutto 'l casso;
e di costoro assai riconobb' io.

Così a più a più si facea basso
quel sangue, sì che cocea pur li piedi;
e quindi fu del fosso il nostro passo.

«Sì come tu da questa parte vedi
lo bulicame che sempre si scema»,
disse 'l centauro, «voglio che tu credi

che da quest' altra a più a più giù prema
lo fondo suo, infin ch'el si raggiunge
ove la tirannia convien che gema.

La divina giustizia di qua punge
quell' Attila che fu flagello in terra,
e Pirro e Sesto; e in etterno munge

le lagrime, che col bollor diserra,
a Rinier da Corneto, a Rinier Pazzo,
che fecero a le strade tanta guerra».

Poi si rivolse e ripassossi 'l guazzo.

Chiron* se tournant à droite, dit à Nessus: «Retourne, et guide-les, et si une autre bande vous arrête, écarte-là!»

Lors, avec l'escorte fidèle, nous suivîmes les bords de la rouge fosse bouillante, où les brûlés poussaient de grands cris. J'en vis d'enfoncés jusqu'aux sourcils, et le grand Centaure* dit: «Ce sont les tyrans qui s'assouvissent de pillage et de sang. Ici se pleurent les ravages accomplis sans pitié; ici sont Alexandre et le cruel Denys**, à qui la Sicile dut des années douloureuses. Et ce front au poil si noir est Azzolino 1***, et cet autre blond est Obizzo d'Esti****, qui vraiment fut là-haut, dans le monde, tué par son fils.» Alors je me tournai vers le Poète, qui dit: «Que celui-ci maintenant te soit le premier, et moi le second.»

Un peu plus loin le Centaure***** fixa ses regards sur quelques-uns qui, jusqu'à la gorge, paraissaient sortir de ce sang bouillant.

Il nous montra une ombre, seule à l'écart, disant: «Celui-ci , dans le sein même de Dieu, perça le coeur que sur la Tamise on honore encore.»****** Puis j'en vis qui, au-dessus de l'étang, levaient la tête, et d'autres tout le buste: et de ceux-ci j'en reconnus beaucoup.

Ainsi de plus en plus baissait ce sang, jusqu'à ne couvrir que les pieds; et ce fut là que nous passâmes le lac.

«Comme de ce côté tu as vu du sang diminuer toujours, dit le Centaure, je veux que tu croies que de cet autre côté le fond se creuse de plus en plus, pour rejoindre l'endroit où il convient que la tyrannie gémisse.

De ce côté , la divine justice point cet Attila qui fut le fléau de la terre, et Pyrrhus, et Sextus*******, et trait éternellement les larmes qu'éternellement renouvelle la brûlante douleur en Régnier de Corneto et Regnier Pazzo ********, qui tant infestèrent les chemins.»

Puis, se retournant, il repassa le gué.


* Chiron, centaure, fils de Cronos, connu pour sa grande sagesse; Il éduqua, entre autres Achille etAsclépios
** Denys l' Ancien, tyran de Syracuse
*** Azzolino di Itomano, tyran de Padoue
**** Obizzio d'Este, seigneur de Ferrare en 1264. Il fut étouffé par son fils
***** Nessus que Chiron a donné comme guide à Virgile et à Dante. Il s'opposa à Hercule en voulant séduire Déjanire. Combat rapporté par Ovide
****** Guy de Montfort qui tua le neveu d'Henri III pour venger son père
******* Sextus: fils de Tarquin le Superbe, chef d'une dynastie Etrusque.
******** Regner de Cornetto Regnie Pazzo, bandits qui écumaient les plages maritimes du temps de Dante.