CHANT III
Vers 82 à126
«VOUS QUI ENTREZ, LAISSEZ TOUTE ESPÉRANCE».
CARON TRANSPORTE LES ÂMES DES LÂCHES
SUR L'AUTRE RIVE DE L'ACHÉRON.
Ed ecco verso noi venir per nave
un vecchio, bianco per antico pelo,
gridando: «Guai a voi, anime prave!
Non isperate mai veder lo cielo:
i' vegno per menarvi a l'altra riva
ne le tenebre etterne, in caldo e 'n gelo.
E tu che se' costì, anima viva,
pàrtiti da cotesti che son morti».
Ma poi che vide ch'io non mi partiva,
disse: «Per altra via, per altri porti
verrai a piaggia, non qui, per passare:
più lieve legno convien che ti porti».
E 'l duca lui: «Caron, non ti crucciare:
vuolsi così colà dove si puote
ciò che si vuole, e più non dimandare».
Quinci fuor quete le lanose gote
al nocchier de la livida palude,
che 'ntorno a li occhi avea di fiamme rote.
Ma quell' anime, ch'eran lasse e nude,
cangiar colore e dibattero i denti,
ratto che 'nteser le parole crude.
Bestemmiavano Dio e lor parenti,
l'umana spezie e 'l loco e 'l tempo e 'l seme
di lor semenza e di lor nascimenti.
Poi si ritrasser tutte quante insieme,
forte piangendo, a la riva malvagia
ch'attende ciascun uom che Dio non teme.
Caron dimonio, con occhi di bragia
loro accennando, tutte le raccoglie;
batte col remo qualunque s'adagia.
Come d'autunno si levan le foglie
l'una appresso de l'altra, fin che 'l ramo
vede a la terra tutte le sue spoglie,
similemente il mal seme d'Adamo
gittansi di quel lito ad una ad una,
per cenni come augel per suo richiamo.
Così sen vanno su per l'onda bruna,
e avanti che sien di là discese,
anche di qua nuova schiera s'auna.
«Figliuol mio», disse 'l maestro cortese,
«quelli che muoion ne l'ira di Dio
tutti convegnon qui d'ogne paese;
e pronti sono a trapassar lo rio,
ché la divina giustizia li sprona,
sì che la tema si volve in disio.
Par moi l'on va dans la cité des pleurs; par moi l'on va dans l'éternelle douleur; par moi l'on va chez la race perdue. La Justice mut mon souverain Auteur: la divine Puissance, la suprême Sagesse et le premier Amour me firent. Avant moi ne furent créées nulles choses, sauf les éternelles, et éternellement je dure: vous qui entrez, laissez toute espérance!
Et voici venir vers nous, dans une barque, un vieillard blanchi par de longues années, criant: « Malheur à vous, âmes perverses! N'espérez pas voir jamais le ciel; je viens pour vous mener à l'autre rive, dans les ténèbres éternelles, dans le feu et la glace. Et toi que voilà, âme vivante, sépare-toi de ces morts! » Et voyant que je ne m'en allais pas: « Par d'autres chemins, ditil, par d'autres bacs, tu viendras à la plage pour passer; il convient qu'une nef plus légère te porte ».
Et le Guide à lui: « Caron, ne te courrouce point: il est ainsi ordonné, là où se peut ce qui se veut; ne demande rien de plus. »
Alors se dégonflèrent les joues laineuses du nocher du marais livide, qui autour des yeux avait des cercles enflammés. Mais ces âmes tristes, fatiguées et nues, changèrent de couleur, et leurs dents claquèrent sitôt qu'elles ouvrent les sévères paroles. Elles blasphémaient Dieu et leurs parents, la race humaine, le lieu, le temps où elles naquirent, la semence de laquelle elles germèrent. Puis, toutes ensemble, elles se retirèrent près de la rive maudite où vient tout homme qui ne craint pas Dieu. Caron, d'un signe de ses yeux de braise, les rassemble toutes, et frappe de sa rame quiconque s'attarde. Comme, l'une après l'autre, en automne, les feuilles se détachent afin que le rameau rende à la terre toutes ses dépouilles, pareillement, au signe du nocher, comme l'oiseau à l'appel, se jetaient de la rive, une à une, les âmes mauvaises de la race d'Adam. Ainsi elles s'en vont par l'eau noirâtre, et avant qu'elles soient descendues sur l'autre bord, sur celui-ci se rassemble encore une nouvelle troupe. « Mon fils, dit le Maître, courtois, il faut qu'ici viennent de toute contrée ceux qui meurent dans la colère de Dieu; et ils ont tant de hâte de passer le fleuve, parce que tellement les point l'aiguillon de la justice divine, que la crainte se change en désir.