CHANT V
Vers 88 à 141
DANS LE CERCLE DES LUXURIEUX, DANTE S'ÉMEUT DU SORT DE DEUX AMANTS: FRANCESCA ET PAUL, SON BEAU-FRÈRE TUÉS PAR LANCIOTTO MALATESTA, LE MARI DE FRANCESCA
«O animal grazïoso e benigno
che visitando vai per l'aere perso
noi che tignemmo il mondo di sanguigno,
se fosse amico il re de l'universo,
noi pregheremmo lui de la tua pace,
poi c'hai pietà del nostro mal perverso.
Di quel che udire e che parlar vi piace,
noi udiremo e parleremo a voi,
mentre che 'l vento, come fa, ci tace.
Siede la terra dove nata fui
su la marina dove 'l Po discende
per aver pace co' seguaci sui.
Amor, ch'al cor gentil ratto s'apprende,
prese costui de la bella persona
che mi fu tolta; e 'l modo ancor m'offende.
Amor, ch'a nullo amato amar perdona,
mi prese del costui piacer sì forte,
che, come vedi, ancor non m'abbandona.
Amor condusse noi ad una morte.
Caina attende chi a vita ci spense».
Queste parole da lor ci fuor porte.
Quand' io intesi quell' anime offense,
china' il viso, e tanto il tenni basso,
fin che 'l poeta mi disse: «Che pense?».
Quando rispuosi, cominciai: «Oh lasso,
quanti dolci pensier, quanto disio
menò costoro al doloroso passo!».
Poi mi rivolsi a loro e parla' io,
e cominciai: «Francesca, i tuoi martìri
a lagrimar mi fanno tristo e pio.
Ma dimmi: al tempo d'i dolci sospiri,
a che e come concedette amore
che conosceste i dubbiosi disiri?».
E quella a me: «Nessun maggior dolore
che ricordarsi del tempo felice
ne la miseria; e ciò sa 'l tuo dottore.
Ma s'a conoscer la prima radice
del nostro amor tu hai cotanto affetto,
dirò come colui che piange e dice.
Noi leggiavamo un giorno per diletto
di Lancialotto come amor lo strinse;
soli eravamo e sanza alcun sospetto.
Per più fïate li occhi ci sospinse
quella lettura, e scolorocci il viso;
ma solo un punto fu quel che ci vinse.
Quando leggemmo il disïato riso
esser basciato da cotanto amante,
questi, che mai da me non fia diviso,
la bocca mi basciò tutto tremante.
Galeotto fu 'l libro e chi lo scrisse:
quel giorno più non vi leggemmo avante».
Mentre che l'uno spirto questo disse,
l'altro piangëa; sì che di pietade
io venni men così com' io morisse.
E caddi come corpo morto cade.
«O gracieux et bon, toi qui, à travers l'air noirâtre, viens nous visiter,
nous qui teignîmes le monde de sang! Si le Roi de l'univers nous était ami,
nous le prierions de te faire paix, à toi qui as pitié de notre triste sort. Nous
écouterons ce que vous voulez dire, et vous dirons ce qu'il vous plaît d'entendre,
tandis que le vent se tait. La terre où je naquis borde la mer où descend le Pô,
pour s'y reposer avec son cortège. L'amour qui si vite s'empare d'un coeur
tendre, éprit celui-ci du beau corps qui m'a été enlevé; souvenir qui m'est
encore pénible. L'amour qui ne permet point à l'aimé de ne pas aimer, m'éprit
pour celui-ci d'une passion si forte que maintenant même, comme tu le vois, elle
ne m'abandonne point. L'amour nous conduisit à une même mort: Caïna attend
celui qui éteignit notre vie». Telles furent leurs paroles.
Lorsque j'ouïs ces âmes blessées, je baissai la tête, et la tins baissée jusqu'à ce que le Poète me dit: «Que penses-tu?» Je répondis: – Hélas! que de doux pensers, quel ardent désir a mené ceux-ci au douloureux passage! Puis me tournant vers eux, je parlai et dis: – Francesca*, tes souffrances me touchent et m'attristent jusqu'aux larmes. Mais dis-moi: Au temps des doux soupirs, à quoi et comment amour te fit-il connaître les douteux désirs? Et elle à moi: «Il n'est nulle douleur plus grande que de se ressouvenir dans la misère des temps heureux; et cela ton Maître le sait, mais puisque tu désires tant connaître de notre amour la première racine, je le dirai, parlant et pleurant tout ensemble. Un jour, par plaisir, nous lisions les amours de Lancelot; comment l'amour l'enserra de ses liens; nous étions seuls et sans aucune défiance. Plusieurs fois cette lecture attira nos regards l'un vers l'autre et décolora notre visage; mais un seul moment nous vainquit. Quand nous lûmes comment les riantes lèvres désirées furent baisées par un tel amant, celui-ci, qui jamais de moi ne sera séparé, tout tremblant me baisa la bouche: pour nous le livre et celui qui l'écrivit fut Galeotto: ce jour nous ne lûmes pas plus avant».
Pendant qu'ainsi parlait l'un des esprits, l'autre pleurait tellement que de pitié je défaillis, comme si je me mourais; et je tombai comme tombe un corps mort.
* Francesca et son beau-frère Paul Malatesta, deux amants tués par Lanciotto Malatesta, le mari de Francesca.