CHANT XXIII
Vers 112 à 147
DANS LA SIXIÈME BOLGE, CELLE DES HYPOCRITES, SOUFFRENT LES ÂMES DES FRÈRES BOLOGNAIS CORROMPUS CATALANO ET LODERINGO AINSI QUE CELLES D'ANNE ET DE CAÏPHE, CRUCIFIÉ À MÊME LE SOL, CAUSE DE LA VIOLENCE QUE SUBIRA, PAR LA SUITE, LE PEUPLE JUIF
Quando mi vide, tutto si distorse,
soffiando ne la barba con sospiri;
e 'l frate Catalan, ch'a ciò s'accorse,
mi disse: «Quel confitto che tu miri,
consigliò i Farisei che convenia
porre un uom per lo popolo a' martìri.
Attraversato è, nudo, ne la via,
come tu vedi, ed è mestier ch'el senta
qualunque passa, come pesa, pria.
E a tal modo il socero si stenta
in questa fossa, e li altri dal concilio
che fu per li Giudei mala sementa».
Allor vid' io maravigliar Virgilio
sovra colui ch'era disteso in croce
tanto vilmente ne l'etterno essilio.
Poscia drizzò al frate cotal voce:
«Non vi dispiaccia, se vi lece, dirci
s'a la man destra giace alcuna foce
onde noi amendue possiamo uscirci,
sanza costrigner de li angeli neri
che vegnan d'esto fondo a dipartirci».
Rispuose adunque: «Più che tu non speri
s'appressa un sasso che da la gran cerchia
si move e varca tutt' i vallon feri,
salvo che 'n questo è rotto e nol coperchia;
montar potrete su per la ruina,
che giace in costa e nel fondo soperchia».
Lo duca stette un poco a testa china;
poi disse: «Mal contava la bisogna
colui che i peccator di qua uncina».
E 'l frate: «Io udi' già dire a Bologna
del diavol vizi assai, tra ' quali udi'
ch'elli è bugiardo e padre di menzogn».
Appresso il duca a gran passi sen gì,
turbato un poco d'ira nel sembiante;
ond' io da li 'ncarcati mi parti'
dietro a le poste de le care piante.
Lorsqu'il me vit, il se tordit de tous ses membres, soufflant dans sa barbe et soupirant. Et le frère Catalano, qui de cela s'aperçut, me dit: «Ce crucifié que tu regardes*, aux Pharisiens conseilla qu'un homme fût, pour le peuple, envoyé au supplice. En travers et nu, comme tu vois, il gît sur le chemin, et il faut qu'il sente combien pèse quiconque passe. Et pareillement pâtit dans cette fosse son beau-père**, et les autres du conseil qui fut pour les Juifs une mauvaise semence***».
Je vis alors Virgile s'étonner à l'aspect de celui qui si vilement était étendu sur la croix, dans l'éternel exil. Ensuite il adressa ces paroles au frère: «Qu'il ne vous déplaise point, si cela vous est permis, de nous dire s'il est à main droite quelque ouverture par où, tous deux, nous puissions sortir, sans forcer des anges noirs à nous tirer de ce gouffre». Il répondit: «Plus près que tu ne l'espères est un rocher, qui part du grand cercle et traverse tous les affreux remparts; si ce n'est qu'étant rompu, il ne les recouvre pas entièrement. Vous pourrez monter par la ruine qui gît là, et s'élève au-dessus du fond». Le Maître se tint un peu la tête baissée, puis dit: «Mal contait la chose celui qui, là-haut, avec les crocs, déchire les pêcheurs». Et le frère: «J'ai ouï dire à Bologne que le diable a bien des vices, et, entre autres, qu'il est menteur et père du mensonge». Après cela, le Maître à grands pas s'en alla, en son visage un peu troublé de colère; et moi, laissant les autres sous leur charge, je suivis les traces des pieds chéris.
* Caïphe, qui conseilla la mort du Christ, disant: «Expedit ut unus moriatur homo pro populo», il convient qu'un homme meure pour le peuple (Jean, XI, 50)
** Le grand prêtre Anne, beau-père de Caïphe
*** La semence des maux qu'ils eurent à souffrir plus tard